Épisode 1 : Le départ de Toussaint Charbonneau
Le 30 avril 1803, la France et les États-Unis signent un traité qui prévoit la cession de la Louisiane et de tout le territoire compris entre les Rocheuses, à la jeune nation. D’un coup de signature, les Américains doublaient leur superficie, le premier Consul empochait quatre-vingts millions de francs. Cet argent était le bienvenu. Il permettait à Napoléon 1er de lever des troupes importantes pour acquérir dans les années 1805-1807, la suprématie sur la majeure partie de l’Europe. On sait comment tout ceci s’est terminé en 1815. Mais il n’est pas interdit d’imaginer un autre scénario.
Feuilleton uchronique
La Louisiane n’est pas à vendre. Épisode 1 : Le départ de Toussaint Charbonneau.
Toussaint Charbonneau achevait de dépecer la dernière loutre qui s’était laissée leurrer par ses pièges. Comme d’habitude, il abandonna la part de viande « communautaire », puis nettoya soigneusement la peau. Il ne savait pas, au mois près, depuis combien de temps, il vivait là, au bord du Missouri dans la tribu des Hidatsas. Ceux, qu’on appelait aussi "les gros ventres", étaient des gens doux et pacifiques. Ils partageaient, sans se faire prier, leur tipi, leur nourriture et même leurs femmes. Il en avait, dans les débuts, bien profité. Lorsqu'il avait quitté Boucherville, au bord du Saint-Laurent, il avait l’intention de pousser plus loin vers l’ouest. Mais, deux jours après son arrivée, les Shoshones avaient tenté une incursion. Heureusement, il n’avait cessé de prendre soin de sa vieille pétoire et de garder sa poudre au sec. Bien dissimulé au sommet d’un arbre, il avait abattu trois cavaliers en moins de cinq minutes. Cela avait suffi à faire fuir les assaillants. Depuis, il était considéré comme un héros. Dès le lendemain, les Hidatsas avaient monté une expédition de représailles. Ils avaient capturé trois squaws. Deux avaient servi de monnaie d’échange avec des Anglais. Si elles étaient encore vivantes, leur beauté s’était certainement fanée et elles étaient probablement esclaves d’un planteur de Virginie. La troisième, nommée Sacagawea, lui avait été offerte en guise d’épouse. Il avait quand même une idée approximative du temps qui s’était écoulé depuis. Lorsqu'il avait quitté Boucherville, il avait fait inscrire son nom et sa date de naissance sur un papier qui ne le quittait jamais. Chaque fois qu’il avait croisé un homme blanc, il avait inscrit la date de la rencontre. Depuis, il comptait les printemps, comme le faisaient ses hôtes. Cela devait représenter dix années chez les Blancs, donc on devait être au printemps 1802. La vie avec les sauvages commençait à lui peser. Sacagawea était devenue bien plus qu’une squaw de passage, comme il en avait connu des dizaines. Elle avait donné naissance à des jumeaux, dès ce moment, il avait eu envie de partir. Au fil des saisons, ses rapports avec les Hidatsas avaient changé. Ils oubliaient petit à petit le héros et ses enfants n’étaient pas traités comme ceux de la tribu. Dès sa jeunesse, il avait entendu parler de la Nouvelle-Orléans et du grand delta du Mississippi. Bien sûr, la majorité des blancs du pays de l'Illinois n'y avait jamais mis les pieds. Mais, ils avaient entendu parler les négociants qui venaient acheter des peaux de toutes sortes. La plupart des échanges relevait du troc. Les acheteurs payaient avec du mauvais alcool, des pétoires rouillées et de la farine moisie. Toussaint rêvait d'autre chose. Il ne vendait pas ses peaux contre des marchandises avariées. Il exigeait des pièces d'or. Il avait refusé ces morceaux de papier, que voulait lui donner un Français, en échange de ses fourrures de castor, tout comme cette nouvelle monnaie des Américains. Toutes les pièces amassées au cours de ces années étaient cachées dans une grotte à un km du camp. Outre son trésor, Toussaint y avait accumulé quelques provisions de voyage, un fusil, un pistolet, de la poudre et des cartouches. Car, il ne partait pas seul. Il emmenait avec lui, Sacagawea, sa compagne et ses deux enfants. Maintenant la situation avait changé. Personne ne pouvait lui garantir que ses enfants ne seraient pas un jour vendus comme esclaves. Son grand-père paternel n'avait pas quitté son Poitou natal pour voir ses petits-fils vivre comme des sauvages. La nuit était tombée depuis longtemps lorsqu’il s’éloigna du tipi familial, avec en main, une bonbonne de mauvais alcool et un calumet tout neuf. Il se dirigea vers le valeureux guerrier qui veillait sur la tranquillité du camp. Il se prénommait Nashashuk, autrement dit Courageux. Cependant, il était prêt à toutes les vilenies en échange d’un peu d’eau-de-feu. Les deux hommes échangèrent quelques paroles et Toussaint le gratifia des deux cadeaux prévus. Nashashuk s’éloigna. Sacagawea et les deux gosses sortirent à leur tour. Avec ses yeux de chat, Sacagawea ouvrait la marche, les deux garçons suivaient et Toussaint restait quelques pas en arrière. Il jetait, de temps à autre un regard inquiet sur le campement qui, peu à peu s’éloignait. Il avait choisi, à dessein, le dernier quartier de la vieille lune. Le ciel chargé de nuages noirs achevait de renforcer l’obscurité, synonyme, pour Toussaint, de sérénité. Personne ne parlait. Après vingt minutes de marche, ils atteignirent la rive du fleuve. Le canot était là, seul le léger claquement de l’eau sur ses flans signalait sa présence. A l’exception des deux vieilles pétoires que portaient les gamins, il vérifia soigneusement les bagages. Les ressources alimentaires, composées de bison séché, d’épis de maïs et pois secs étaient là. Il n’était pas inquiet pour la nourriture. La nature avait doté les berges des deux fleuves d’une infinité de plantes comestibles que Sacagawea savait parfaitement accommoder. Ils savaient également que saumons et brochets peuplaient leurs eaux. Lorsque Sacagawea et les gosses furent installés, il releva les jambes de son pantalon à mi mollet et pénétra dans l’eau pour pousser l’embarcation. A ce moment de l’année, le courant était peu rapide. Ce n’est qu’au printemps, que dopé par la neige des Rocheuses, qu’il deviendrait impétueux. Non, ce qu’il redoutait surtout, c’était de se faire détrousser. D’ici à la Nouvelle-Orleans, pillards et bandits ne manquaient pas. Même si Sacagawea maniait le fusil comme un homme, ils seraient bien seuls contre une bande décidée à les dépouiller. Il prévoyait de naviguer six mois environ, mais qu’importe la durée du voyage quand on connaît le but. Ils avaient rejoint le Mississipi quelques semaines après leur départ. Bien entendu, l’étendue du fleuve avait plus que doublé. De la rive droite contre laquelle il essayait de naviguer au plus près, il ne distinguait que faiblement la végétation qui peuplait la rive Yankee.
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