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Feuilleton uchronique

La Louisiane n’est pas à vendre. Épisode 2 : Les comploteurs du Mississipi.

Le printemps était là depuis deux jours et le XIXème siècle depuis deux ans. La soirée était douce, ce n’est que dans deux mois que l’atmosphère allait devenir irrespirable. Ils étaient quatre, tranquillement installés dans la galerie de la vaste demeure coloniale que le père du marquis de Boisdevant avait construire un demi-siècle auparavant. Trois d’entre eux appartenaient à la fine fleur de l’aristocratie créole, et prétendaient descendre de vieilles familles nobles du royaume de France. Comme ils étaient propriétaires de vastes domaines, personne n’avait l’indécence de vérifier leurs dires. Ainsi se trouvaient réunis le marquis Alexandre de Boisdevant, le comte Hugues de la Moricière et le baron Henri de la Vigerie. Claude Dubernard, arrivé une vingtaine d’années auparavant et qui avait fait fortune dans le commerce, complétait le groupe. Tous tiraient doucement sur leur cigare, confortablement installés devant une bouteille de vieux cognac. Seuls quelques cris d'animaux et le murmure des eaux filantes du Mississipi troublaient le silence de la nuit. Après avoir généreusement servi ses trois compagnons, le marquis de Boisdevant leva son verre.

- Levons nos verres, messieurs et buvons à notre paradis terrestre qui pourrait disparaître bientôt.

Interloqués, les trois hommes en oublièrent de lever leur verre.

- Êtes-vous sérieux, marquis ? demanda Dubernard, un personnage grassouillet, dont la bedaine menaçait, à chaque instant, de faire exploser les boutons de son gilet.

- Je le suis, puisque je me suis assuré que la maison est vide. J’ai envoyé le nègre, qui nous a servi, dormir dans une case avec ses congénères. Personne ne peut surprendre notre conversation.

- Que de mystère, mon cher !

- L’affaire est sérieuse, je vous le dis sans détour. Bonaparte veut nous vendre aux Yankees.

- Pour nous vendre, encore faudrait-il qu’il nous possédât, rétorqua le gros homme.

- C’est chose faite. L’Espagne a signé un traité secret qui stipule que la Louisiane redeviendra française sous peu.

- Vous semblez bien informé, mon cher Alexandre, fit remarquer de la Moricière.

De Boisdevant jouissait d’une réputation un peu trouble chez les Créoles de la Nouvelle-Orléans. Personne ne savait d’où il tenait son titre de marquis. Outre sa belle plantation, non loin du Mississipi, sur lequel poussaient l’indigo, le tabac et la canne à sucre, on le soupçonnait d’avoir acquis, en France, quelques beaux domaines, en profitant de la vente des biens nationaux. Pour les aristocrates français, ces acres auraient pu susciter du mépris, voire provoquer sa mise à l’écart de la bonne société. Mais, le marquis respectait les codes de la bonne société créole. Il n’avait pas épousé une négresse ou une indienne, faisait preuve de discrétion avec sa maîtresse quarteronne et traitait correctement ses esclaves. Ainsi, les portes de la bonne société lui restaient ouvertes.

- Arthur, vous ne pouvez ignorer que j’ai quelques relations en France, dont certaines très proches du pouvoir. L’Espagne est à bout de souffle et n’avait guère le choix.

- Alors, nous allons tomber dans les griffes de l’usurpateur.

- Pour peu de temps, je vous ai dit qu’il allait nous céder aux Yankees.

De la Moricière, jusque-là silencieux, ajouta.

- Vous avez raison, Alexandre, autant dire adieu à notre mode de vie. Nous allons devoir affronter des milliers de gueux affamés de terre.

- Quels territoires seraient concernés ?

- Toutes les terres situées à l’Est du Mississippi et qui ne sont pas sous domination espagnole.

- Les yankees vont doubler leur territoire et mettre à mal notre commerce de peaux, ajouta Dubernard qui avait fait fortune grâce à de fructueux échanges avec les Peaux-Rouges.

De la Vigerie, qui avait semblé ailleurs, entra dans la conversation.

- Admettons que vous ayez raison, marquis, que pouvons-nous faire ?

- Tout simplement faire échouer la manœuvre.

-Et vous pensez, qu’à nous quatre nous allons contrarier les projets de la France et des Etats-Unis réunis ?

De Boisdevant ne répondit pas directement à la question.

• Dans un premier temps, nous devons faire échouer la vente. Si nous y parvenons, nous déclarerons notre indépendance.

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