Épisode 6 : La non-signature
Feuilleton uchronique
La Louisiane n’est pas à vendre.
Épisode 6 : La non-signature.
Le 8 mai 1803, à dix heures du matin, dans les salons de l’hôtel Tubeuf, deux hommes font les cents pas. Il ne s’agit pas de modestes hommes d’affaires attendant la signature d’un fabuleux contrat. James Monroe, gouverneur de Virginie et Robert Livingstone, un des fondateurs des États-Unis, devaient ressentir, sous les plafonds lambrissés, le poids des hommes qui avaient fait l’histoire de France. Richelieu et Mazarin avaient hanté ce lieu. Aujourd’hui, ils attendaient le marquis Barbé de Marbois, ministre du trésor, pour la signature d’un traité qui devait bouleverser la face du monde. Finalement, l’affaire avait été rondement menée. L’empire espagnol, sur le déclin, avait été contraint de céder la Louisiane à l’État français par le traité de San Ildefonso (1800), mais la Louisiane ne devait pas rester longtemps française. Monroe et Livingstone avaient pour mandat de négocier l’achat de la Nouvelle-Orléans pour dix millions de dollars. Mais, à leur arrivée, ils se voient proposer un tout autre marché. Pour quatre-vingts millions, le gouvernement français leur propose d’acheter toute la Louisiane, c’est-à-dire un territoire de 2,1 millions de km2 qui doublait la superficie de la jeune nation américaine. Même si aux États-Unis, tout le monde n’était pas favorable à une aussi brutale extension, les deux hommes acceptèrent la proposition. Ce matin, ils allaient apposer leurs signatures au bas d’un document, qui non seulement garantissait l’accès au golfe du Mexique, mais étendait la souveraineté des États-Unis jusqu’au pied des Rocheuses et presque à la frontière de la Californie espagnole. Les Français se faisaient attendre, sans doute, une fin de repas qui s’éternisait un peu ; ils sont tellement frivoles. Ils étaient là depuis un peu plus d’une heure, lorsqu’un majordome leur proposa de prendre un en-cas. Ils ne se firent pas prier, connaissant la qualité des mets servis par les Français. La table, autour de laquelle on les invita à s’asseoir, les rendit un peu songeurs. Pas de fine terrine dont la saveur délicate envahissait le palais, pas de succulente petite volaille rôtie à point. Le buffet se composait d’un poulet rôti découpé à la va-vite, de quelques tranches de jambon gras et un pain grossier. Inutile de chercher la carafe de cristal dans laquelle décantait un vieux vin de Bordeaux, un pichet de terre cuite posé entre deux gobelets en étain en tenait lieu. Un peu surpris, les Américains tentèrent de faire honneur au repas pour ne pas indisposer leur hôte. Le majordome vint les informer que le marquis était retenu chez le premier consul et serait là dans une heure. En attendant, il leur proposa du café et des liqueurs. Les deux hommes ne refusèrent pas, mais commençaient à trouver la situation quelque peu grotesque. Enfin, ils n’hésitèrent pas à se servir largement en vieux cognac, le seul produit convenable présent sur la table. Une heure passa, puis une deuxième, les deux Américains continuaient de malmener la bouteille de cognac, tenant des propos peu amènes sur la conduite des Français. Mais, comme ils savaient que ce jour était un tournant dans l’histoire de leur pays, ils prenaient patience. Soudain, on entendit claquer des sabots sur les pavés luisants de la cour, puis le bruit caractéristique du pas d’un homme s’appuyant sur une canne. Les deux se regardèrent interloqués. S’agirait-il du diable boiteux en personne ? En effet, c’était bien l’homme que toutes les chancelleries du monde redoutaient. Il entre en se contentant de saluer les Américains d’un signe de tête.
- Messieurs, j’espère que vous ne prendrez pas ombrage de mes propos. Le premier Consul m’a demandé de vous faire part de sa décision concernant la Louisiane.
- Mais, elle est acquise.
- Nous n'avons rien paraphé, messieurs. La Louisiane ainsi que toutes les contrées qui en dépendent restent françaises.
- Pouvons-nous connaître les raisons de ce retournement ?
- Enfin, messieurs, vous savez bien que c’est impossible ! La diplomatie a besoin de mystère. Sinon, à quoi serviraient les espions ?
Les Américains n’apprécièrent guère ce dernier trait d’humour.
- Alors nous n’avons plus qu'à quitter la France.
- Vous êtes nos invités tant qu’il vous plaira. Vous pouvez, à votre aise, profiter des douceurs que la France vous offre. Je dois vous préciser qu’un courrier est déjà parti pour informer votre président. Talleyrand s’en retourna. Les deux Américains le suivirent de près, que pouvaient-ils faire d’autre.
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