Episode12 : La première armée de Louisiane
Feuilleton uchronique
La Louisiane n’est pas à vendre.
Episode12 : La première armée de Louisiane
On naviguait depuis trois semaines lorsque la vigie du mât de misaine confia sa lunette à monsieur de la Moricière
- Regardez, monsieur, à quelques degrés à l’Est de bâbord.
De la Moricière s’empara de la lunette. Ce qui apparaissait comme un point minuscule à l’œil nu, se présentait comme un îlot assez étendu dans la lunette. Deux silhouettes de navires constituaient le devant de la scène. De la Moricière donna l’ordre de mettre le cap dans leur direction. Le commandant estima à deux jours le temps de navigation. Il fallut un jour de négociations pour décider des manœuvres d’approche. Une chaloupe de chaque camp, commandée par les seconds des trois navires et transportant quatre hommes non armés seraient mises à l’eau. Les deux responsables de chaloupe se saluèrent chaleureusement. Coucherond ,second du Brigandin, se vit remettre la missive de Laussat. Il promit une réponse au plus tôt. Chacun regagna son navire. Dès le lendemain matin, une chaloupe, à bord de laquelle avaient pris place deux hommes en tenue d’apparat, s’arrêta à un demi mille du Gascon. Les rameurs se levèrent tour à tour bras en l’air pour montrer qu’ils ne portaient pas d’arme. La chaloupe se rapprocha, on ne perdit pas de temps en mondanités. Le commandant du Brigandin sembla marquer un certain étonnement en apercevant de la Moricière. Originaire des Monts d’Or, le commandant était devenu marin un soir de beuverie en 1775. Comme beaucoup d’Auvergnats, il venait faire des saisons à Paris. La malchance plaça sur sa route un recruteur peu scrupuleux. Après plusieurs pichets, au fond d’une taverne mal famée et une signature maladroite sur un papier qu’il n’aurait pas pu lire, il se retrouva engagé pour quinze ans dans la marine royale. Si l’homme n’était guère instruit, il n’était ni dénué d’intelligence, ni de roublardise. La Révolution le trouva toujours sur un navire, mais plus dans la position du simple matelot. Il était désormais chargé de veiller à l’approvisionnement du navire en vivres et autres produits de la vie courante. Il était retord, négociateur redoutable. Les équipages des navires sur lesquels il avait œuvré ne s’était jamais plaint de leur ration. Bien sûr, il n’oubliait pas de s’assurer de solides commissions. Au fil du temps, son réseau de fournisseurs s’était agrandi. Dans la plupart des ports commerciaux d’importance, il connaissait un ou deux hommes capables d’organiser le ravitaillement des navires qui y faisaient escale. Sous ses airs de matelot irréprochable, il s’était taillé un véritable empire commercial. La Révolution le rattrapa au Havre en 1792. Les officiers nobles, qui commandaient le navire, filèrent à l’anglaise en direction de Londres. Lorsque les autorités révolutionnaires débarquèrent pour prendre possession du navire, il se présenta comme l’homme, qui avait assuré le retour du navire dans un port de la patrie, alors que la noblesse ne pensait qu’à rejoindre la marine anglaise. Dans l’équipage, personne n’avait songé à le contredire, tout le monde pensait aux rations supplémentaires de rhum. Le modeste matelot se vit propulser commandant du navire. De matelot, il était devenu capitaine de vaisseau sans savoir lire une carte ou calculer la longitude. C’est ainsi qu’il s’était retrouvé à la tête d’un navire chargé d’acheminer des troupes à Saint-Domingue. Dès le début de la fièvre, il avait compris que le salut se trouvait dans la fuite. Il avait convaincu Delaporte, commandant du Compas de se joindre à lui. Pourtant tout semblait opposer les deux hommes. L’un fils de paysan, roublard, inculte, mais à qui la vie avait donné une connaissance intime de l’âme humaine. L’autre, fils d’avocat, intelligent et cultivé et qui était devenu marin par goût de l’aventure et de la découverte, mais qui faisait un piètre commandant. Ils avaient quitté Saint-Domingue sans projet précis. Lancer leur entreprise de piratage ? Se vendre au plus offrant ? Ils avaient accumulé vivres et munitions. Chaque navire était équipé d’une douzaine de canons. Mais surtout, ils disposaient d’une armée de deux cents hommes aguerris. Finalement, les trois commandants et de la Moricière s’isolèrent pour entamer leur conciliabule. En tant qu’envoyé du préfet Laussat, de la Moricière prit la parole en premier.
- Messieurs, vous avez pris connaissance du courrier de monsieur Laussat. Je me porte garant des engagements de la France. Une fois rentrés en Louisiane, vous et vos hommes auront le choix d’y rester ou de retourner en France. Mais la Louisiane est une terre riche de promesses, pour qui sait faire preuve d’un peu d’audace et ne rechigne pas à la tâche.
- J’entends bien répondit Coucherond, mais nous sommes appointés par la République. Est-ce que cela va continuer ?
- La Louisiane est un territoire de la République et cela vaut aussi pour vos hommes.
- Permettez-moi une question, monsieur de la Moricière. Vous êtes un noble français émigré. J’ai connu de votre parentèle dans le passé, en Auvergne. C’est bizarre que vous soyez devenu un ardent défenseur de la République.
- Ce serait une bien longue histoire. Sachez simplement que mon grand-père est venu s’installer en Louisiane après avoir été spolié d’une bonne partie de ses biens par la parentèle que vous évoquez. Alors au fond, peu m’importe la République, la Royauté ou l’Empire tant qu’on respecte ma propriété et ma liberté.
- Qui nous garantit qu’une fois arrivés à la Nouvelle-Orleans, vous n’allez pas vous emparer des navires nous emprisonner, voire pire.
- Croyez-vous que l’État français soit assez fou pour se priver de soldats aguerris ?
Après avoir porté un toast à la République, on régla les derniers détails de navigation. La Louisiane libre venait de constituer l’embryon d’une vraie armée.
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